Sunday, November 6, 2011

Revue de livre "Charly 9" de Jean Teulé

C'est ma première lecture de Jean Teulé mais je me déclare déjà presque conquise par le style du romancier, qui deviendra bientôt mon préféré. Autant de symbolisme, de profondeur et en même temps d'ironie et de sarcasme (à la fois comique et tragique), sont difficiles à trouver ailleurs.

Le destin de Charles IX m'était assez familier avant de choisir ma lecture, pourtant, le roman m'a profondément impressionné par une perception différente du personnage.

L'action débute par le complot du massacre, mis en place par Catherine de Médicis, Henri d'Anjou et le conseil de gouvernement. Je laisse de côté mon propre avis sur les vrais organisateurs, car c'est un roman et pas une biographie, donc les erreurs historiques sont acceptées. La veuve noire et Ses Yeux Chers arrivent à convaincre Charles de la nécessité du carnage en évoquant les arguments suivants:
- Éviter de lutter en Flandre contre l'Espagne catholique
- Utiliser le prétexte pour se débarrasser de Coligny, mauvais conseiller du roi selon Catherine
- Prévenir l'enlèvement de la famille royale comploté par les protestants
- Stopper les protestants qui s'emparaient déjà des villes et égorgeaient les catholiques

Le procédé employé par l'auteur pour montrer l'accroissement de l'effroi de Charles vis à vis des comploteurs est tout à fait troublant: «deux morts?», «six morts?», «cent morts?», «mille morts?», «trente mille morts?» Ce n'est qu'une répétition qui préfigure et augmente la tragédie.

La phrase «Ce ne sont quand même que des protestants» révèle une attitude inhumaine envers une religion qui n'est pas encore reconnue. Selon la mentalité des catholiques, le massacre ne devait être qu'une «grande lessive» approuvée par Dieu.

Charles n'a jamais voulu être roi, fait confirmé par le portrait qu'on lui fasse dans l'ouvrage et par ses propres mots. D'une certaine façon, le roi essaie de minimiser son rôle dans le massacre à celui d'un simple témoin, accablé par le malheur, incapable de prendre des décisions. «Agis comme tu veux, mamma. C'est ta décision...»

Les cris épouvantables des corbeaux «Quoi», «Crois» et «Croa» le jour de 24 août 1572 symbolisent la stupéfaction générale juste après le carnage, et la mort qui dominait le paysage.

Charles se rend compte à plusieurs occasions que son copain Henriot (futur Henri IV) «pue», mais c'est juste une métaphore utilisée par le roi pour se moquer de son esprit hésitant entre les deux religions, qui l'ai aidé en effet à survivre le massacre et à conserver ses chances à la couronne de France. Celui qui pue n'est pas franc avec les autres, il cache sa vraie identité.

Charles IX l'homme nous est révélé en toute splendeur dans les dialogues avec sa mère, Elisabeth, Henriot et Ambroise Paré.

Très jeune, au début de son règne, Charles commence à désirer la mort immédiatement après la St. Barthélemy: «Dois-je me retirer dans ma chambre ou dans quelque désert ou sous quelque rocher? Où fuir?» Sa propre phrase annonce sa mort pré-mature, perçue sans doute comme un refuge.

Le motif de l'autruche est très important dans la tentative de l'auteur de nous rendre le portrait fidèle du roi: «les autruches se mettent la tête dans le sable pour ne plus avoir à regarder les problèmes en face. Sinon, c'est un oiseau coureur.» On reconnaît facilement le caractère de Charles dans cette courte description: roi par hasard, né pour ne pas gouverner, aime laisser aux autres la liberté de prendre des décisions pour s'en débarrasser, et chasser en toute liberté. «Aux civilisations, je préfère les paysages.»

Après le massacre, Charles voit et sent des remords et reproches partout, même dans sa soupe: «là aussi, c'est plein d'yeux écarquillés de reproches qui me regardent!» Malheureusement les remords vont se transformer en obsession, l'obsession en maladie, qui va aboutir à sa mort au bout de deux ans après le malheureux événement. D'autant plus que toute la Chrétienté et le pape le considère comme «le vengeur du ciel», tandis qu'en vérité il n'est qu'un «jeune roi tueur».

Contre toute attente, quand le roi apprend la naissance de sa fille il se sent soulagé de ne pas laisser un héritier mâle à la postérité.  Un garçon, futur roi, lui aura-t-il sans doute reproché son pire exploit et il n'aurait pu justifier son acte.

Quand la démence s'accentue, Charles passe par plusieurs états d'esprit – il tue son chien, il a des crises de nerfs, des accès de fureur, (il se venge contre les animaux, mais en fait c'est après les hommes qu'il est fâché).  «Je ressemble à ces chiens qui sont entrés dans l'eau et qui ne peuvent regagner le bord car le courant les emporte si bien qu'en nageant toujours à la fin ils se noient.»

A un certain moment de sa folie, Charles manifeste son envie de tuer tout son peuple pour faire les gens oublier le massacre, et le bourreau lui devient un bon ami car ils semblent avoir trouvé beaucoup d'affinités.

En ce qui concerne l'aspect physique de Charles après la St. Barthélemy: «A vingt-trois ans, le roi aux rides profondes donne l'impression d'être âgé de plus de double...» - il est un homme consommé.

Vers sa fin, le symbolisme s'accentue, notamment quand il s'agit de l'immense quantité de sang perdu par Charles pendant sa maladie: «C'est tout le sang que j'ai fait verser qui ressort par ma peau!» La maladie est probablement survenue comme résultat de son bouleversement intérieur, son regret pour l'acte commis: «La honte me dévore autant que la douleur...»

«L'enfer, je l'ai déjà vécu sur terre.» - voilà les considérations d'un jeune homme extrêmement marqué par son destin. Du coup, l'autopsie du cadavre du roi relève un «cœur flasque et comme desséché: toute l'humeur aqueuse, habituellement contenue dans le péricarde, ayant disparu.»

Le final s'avère bien triste pour Charles aussi bien que pour nous, les spectateurs. Inévitablement, le roi est bientôt oublié et la guerre recommence. Il n'a été donc qu'une victime de son temps. Avec ou sans lui, le massacre de la St. Barthélémy aurait eu lieu.

Grâce à un décor et des scènes assez statiques, le livre de Jean Teulé pourrait facilement être joué comme une pièce de théâtre. Les commentaires sont inutiles, je vous invite à lire...

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